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Le nom d’Hendrik Willem Mesdag (1831-1915) reste indissociablement lié à son célèbre Panorama de 1880. Quelques mois après le décès du mariniste, Philip Zilcken publiait dans La Revue de Hollande un article consacré à la collection laissée par le peintre et son épouse, Sina van Houten (1834-1909), à l’État néerlandais :
Groningue, le chef-lieu de la province du même nom, est une petite ville commerçante et intellectuelle qui possède une Université importante, où depuis longtemps une chaire de langue française attire de nombreux étudiants grâce à d’excellents professeurs, tels que feu van Hamel (1), et, actuellement, notre éminent collaborateur, M. Salverda de Grave.
Israëls y naquit en 1824, et, fils d’un très petit banquier, il allait parfois recouvrer des créances chez M. M. Mesdag et fils ; le jeune garçon ne se doutait pas alors que plus tard il deviendrait un ami intime du futur mariniste !
Israëls et Mesdag, ces deux artistes demeureront, l’un par l’ardente et vibrante expression de vie qui caractérise ses œuvres les plus distinguées, l’autre, si ce n’est exclusivement par ses tableaux, certainement par les merveilleuses collections qu’il a données à l’État néerlandais en 1903, et qui forment un des plus remarquables Musées d’art français qui existent au monde.
Sina Mesdag (coll. Mesdag)
Évidemment à Paris, il y a au Louvre quelques merveilles des « peintres de Barbizon », et les collections Thomy Thiéry, Moreau-Nélaton, Chauchard contiennent des joyaux inestimables, mais le musée Mesdag, formé par deux artistes, (car Madame Mesdag-van Houten, peintre très distingué elle aussi, eut une influence prépondérante sur la formation de cette collection) est un ensemble parti- culièrement homogène. On sent qu’une idée y domine et que le choix assez éclectique des œuvres a toujours été inspiré par un véritable et profond sentiment de l’art, par une parfaite compréhension de la Peinture.
Ayant être chargé par le Gouvernement hollandais de faire le Catalogue descriptif de ces collections de premier ordre (2), lorsque Mesdag, dans un geste large, en eut fait hommage à sa patrie, – et ayant jadis même, parfois contribué à les former, – je suis à même, non seulement d’en donner un aperçu, ainsi que je l’ai fait en 1908 dans La Revue de l’Art ancien et moderne (3), mais aussi de mentionner certains détails qui ne sont pas sans intérêt général.
Un des caractères les plus remarquables de ce musée, qui le distingue de beaucoup d’autres, est le nombre considérable de toiles en apparence inachevées, esquisses, ébauches, « préparations », frottis, qu’il contient.
M. et Mme. Mesdag, en artistes, jugèrent avec raison que le « premier jet » d’un tableau, tout en n’étant pas « fini » dans le sens étroit du mot, est aussi complet, – sinon plus, – aussi important, et souvent plus révélateur du talent d’un artiste et plus instructif que l’œuvre achevée.
Dans la courte Préface du Catalogue de 1905, j’ai cité les ligues suivantes à ce sujet : Jules Breton, qui n’était certes pas susceptible d’intransigeance en art, voit au musée de Lille une Descente de Croix de Rubens, qu’il qualifie « d’importante, robuste, solide, large et pleine d’âme », – toutes les qualités d’un pur chef-d’œuvre.
Quelques années plus tard, Breton, revenu dans le même musée, y voit, à côté du tableau de Rubens, une petite esquisse, de trente à quarante centimètres, dont il dit : « c’était comme surgissant toute palpitante du cerveau du Maître, l’esquisse du tableau. Merveille inoubliable ! »
« Dans mes souvenirs de ces deux toiles, c’est la plus petite qui me semble la plus grande, la plus vibrante, la plus divine et la plus douloureusement dramatique ; … chaque touche est chaude de son génie, (de Rubens)… » etc.
Ces lignes du membre de l’Institut montrent clairement l’intérêt d’une bonne esquisse qui, rapidement enlevée sous l’impression directe de l’émotion, est souvent plus personnelle, plus fraîche, plus expressive qu’une œuvre laborieusement parachevée.
Un autre côté très spécial de la collection Mesdag, c’est qu’elle représente merveilleusement ce qu’on est convenu d’appeler la « belle peinture », comme si toute bonne peinture n’était pas belle !
Alfred Stevens l’a très bien dit un jour : « Ceux qui possèdent le métier, la facture, sont seuls assurés de l’immortalité. » Peintres tous deux, M. et Mme. Mesdag ont compris et senti les beautés de l’exécution qui seules donnent la survie aux œuvres d’art, quelles qu’elles soient, et, par conséquent le musée Mesdag offre de rares jouissances aux artistes et aux connaisseurs.
Mesdag, par P. de Josselin de Jong (col. Mesdag)
Mais avant de parler plus longuement du musée Mesdag, je crois qu’il est indispensable de dire quelques mots de l’homme d’élite que fut ce peintre volontaire, énergique, ayant les qualités d’opiniâtreté de sa race et de ses ancêtres.
H. W. Mesdag est né, comme je l’ai dit plus haut, à Groningue, en 1831 ; jusqu’à l’âge de trente-cinq ans il travailla dans les bureaux de son père, négociant en grains, propriétaire de moulins et d’une fabrique d’amidon, et il se fit alors connaître comme un commerçant intègre et scrupuleux. Ces travaux contribuèrent sans aucun doute à faire de lui l’excellent administrateur qu’il fut plus tard, et comme Président de Pulchri-Studio, et comme Commissaire-général de beaucoup d’expositions internationales.
Dès son enfance, Mesdag avait dessiné à ses moments perdus ; à l’âge de douze ans il s’amusait à copier des gravures, tout en ayant des leçons de dessin de M. Buijs, le maître qui avait donné des leçons à Joseph Israëls. Mais ce ne fut que vers 1866 qu’il put s’adonner à la peinture, et que, encouragé par sa femme, il alla se fixer à Bruxelles, où habitait son cousin Alma Tadema, et où son compatriote Willem Roelofs lui donna des conseils.
Mesdag, avec la volonté qui lui était propre et le souci de vérité qui caractérise nos races du Nord, peignit des études serrées, méticuleuses, qui, par leur naïveté et leur réalisme se rapprochent de certaines études de Vincent van Gogh.
En 1866, le jeune peintre expose pour la première fois à Bruxelles où ses travaux attirent l’attention, tandis que, peu de temps après, dans sa ville natale, Groningue, ils furent reçus avec une parfaite indifférence.
En 1868, Mesdag alla passer l’été à Norderney ; lorsqu’il y vit la Mer du Nord, incessamment changeante et variée, il comprit qu’il avait trouvé sa voie. Aussi, l’année suivante, vient-il se fixer à La Haye, à proximité de Schéveningue.
Cette année 1869 fut mémorable pour Mesdag ; ayant exposé au Salon de Paris une assez grande toile Les brisants de la Mer du Nord, celle-ci fut médaillée, acquise par le peintre Chaplin, tandis que Millet, qui était membre du Jury, envoya à l’artiste une carte de visite avec ses félicitations, document précieux que Mesdag avait encadré et accroché dans son atelier.
À cette même époque, – nul n’est prophète en son pays, – lorsque le peintre exposa à La Haye un tableau intitulé Que deviendront-ils ? représentant une barque de sauvetage allant au secours de naufragés, la malveillance et l’envie transformèrent ironiquement ce titre en Que deviendra-t-il ?...
Mais dès lors sa carrière se dessine ; il produit une œuvre considérable et acquiert une notoriété que peu d’artistes ont atteinte.
Presque tous les grands musées contiennent de ses toiles ; celles-ci, en général, sont de valeur inégale ; à côté d’excellentes il y en a un bon nombre d’assez faibles, mais, comme en somme tout artiste
ne survit que par ses meilleures œuvres, Mesdag demeurera, parmi ses confrères du XIXe siècle, une figure très intéressante.
Sa femme, peut-être plus artiste que lui, l’encouragea toujours et lui fut extrêmement utile par ses conseils ; à l’égard du Musée, Mesdag me dit un jour de publier que ce fut sous l’influence de Madame Mesdag que cette collection est devenue ce qu’elle est.
En commençant par le rez-de-chaussée, on est frappé tout d’abord par un choix d’aquarelles de ces peintres hollandais qui ont atteint une telle perfection technique en cet art délicat, qu’ils l’ont mené dans une impasse d’où il ne peut sortir qu’en se rénovant. On y voit des œuvres d’Irsraëls, de Jacob et Willem Maris, Weissenbruch, Bosboom, Mauve, Bauer, Mesdag et Madame Mesdag, d’un coloris distingué et harmonieux, d’un faire large et fouillé, qui démontre parfaitement ce que ces artistes parvinrent à exprimer au moyen de ce procédé.
J. Bastien-Lepage, Autopotrait, 1875
Puis, après une grande salle aux tapisseries flamandes, aux- quelles se marie heureusement l’éclat sobre de cuivres arabes, de faïences orientales, ainsi que les patines subtiles d’ivoires et de bronzes japonais, viennent dans une salle suivante, Bastien-Lepage, Emile et Jules Breton, Couture, Bianchi, Gola, et quelques Corot, rapidement enlevés, précisant l’heure, le moment. De ce maître séduisant des œuvres peu communes, telles que les Falaises à contre-jour, un Clair de lune exquis, un Sous-bois très travaillé, avec figures importantes.
Puis vient, alphabétiquement, Courbet, avec sept toiles solides, telles : Paysage, probablement en Franche-Comté ; des Pommes, aux rouges puissants, d’une admirable facture, tout comme le Chevreuil mort, l’Étude de nu et le Portrait du peintre, dédié « à mon ami Hippolyte, souvenir d’amitié de Gustave Courbet », – toutes œuvres de premier ordre.
Devant les Daubigny on est pris d’un étonnement ; comment des œuvres d’une aussi rare importance (25 numéros) ont-elles put quitter la France ?... Il suffit de mentionner Villerville en Calvados, La Maison de ma nourrice, Le Halage, plusieurs Soleils couchants, dorés, pourpres, vermeils, dans les champs, sur la mer, le long des grèves, la Bergerie, le Parc à moutons, trois Clairs de lune, pour indiquer la place d’élite qu’occupe cet artiste dans cette collection. Pour bien connaître Daubigny il faut avoir vu le Musée Mesdag !
Puis de Daumier, l’admirable dessinateur, Commérage.
Decamps, Les chiens de garde, Napoléon à St. Hélène, Le Braconnier.
Eugène Delacroix, Soir de la bataille de Waterloo, Descente de Croix, superbe fusain sur papier jaune, et le Portrait du peintre, au masque amer, hautain, dédaigneux, d’inoubliable caractère.
Diaz, tout un choix de toiles ; des vues de la forêt de Fontainebleau, d’une belle sincérité, des Pivoines roses, une Étude de nu délicieuse, un Paysage des Pyrénées, léger frottis évoquant très heureusement la grandeur de montagnes aux cimes neigeuses.
Jules Dupré (1811-1889)
Jules Dupré : de vieux chênes noueux, luisants après l’orage ; la nièce de Mesdag, Mlle van Houten, a fait une très importante eau-forte d’après ce beau tableau. De ce même de vrai peintre encore six œuvres, d’effets lumineux et divers, parmi lesquelles de légers frottis très expressifs.
Géricault. Du peintre du Naufrage de la Méduse, quelques études de chevaux.
Hervier. Le paysagiste « aux nuages dos de tourterelle », trop méconnu durant sa vie, qui fut aussi un excellent aqua-fortiste.
Jacques Ferdinand Humbert, une Fantaisie, portrait de jeune femme décolletée.
Ch. Jacque. Quelques scènes rustiques.
Jeannin. Un petit panier contenant des raisins-muscat, d’une savoureuse couleur blonde.
Mancini. De cet éminent peintre italien, ce Musée contient un grand nombre de toiles diverses, parce que Mesdag pendant quelque temps a acheté toute la production de l’artiste. On peut voir ici de ses œuvres de jeunesse, telles que l’Enfant malade, aussi bien que des toiles plus récentes qui trahissent les recherches ardentes de cet artiste passionné de vérité, d’exactitude.
Mettling, le peintre Lyonnais, représenté par trois tableaux de figure.
Michel. De ce précurseur de l’école de Barbizon, des Moulins montmartrois, d’effet rembranesque.
J. F. Millet. Un des points culminant de cette collection.
A. Mancini, Perdue en pensées (détail, col. Mesdag)
Si l’Angélus est « le triomphe du sujet », (mais ce tableau célèbre est vraiment plus que cela !), sa Nature morte (un pot grossier, une jatte blanche, quelques navets et un vieux couteau), – serait, en son extrême simplicité de sujet et de facture, « le triomphe du sentiment », car elle est d’une impressionnante beauté. L’Homme et l’âne, un pastel d’une farouche grandeur, Les Meules, le Vigneron au repos, autant de chefs-d’œuvre. Et l’Agar et Ismaël (qui mesure 2 mètres 33 sur 1.45) est une toile vraiment dramatique, qui n’aurait jamais dû quitter la France. Le jour même où Mesdag l’avait achetée, à une vente, à Paris, on vint lui offrir environ vingt mille francs de bénéfice s’il voulait la revendre !*
De Monticelli, une Route au Midi, étincelante de lumière, et une Fête aux personnages richement vêtus.
Munkacsy, le peintre hongrois ; une Étude de la tête de la figure principale du Dernier jour d’un condamné.
Ricard, un Portrait d’officier supérieur, très distingué en sa sobriété de facture.
Théodore Rousseau. Encore un point culminant de ce Musée. Du « grand refusé », la célèbre Descente de vaches dans le Jura (refusée au Salon de 1835, avec la fameuse Allée des châtaigniers) a terriblement poussé au noir ; çà et là émergent des morceaux de couleur rutilante, semblables à des fragments d’émail superbe. Mais, dans une autre salle, l’esquisse, mieux conservée, permet de reconstituer le tableau qu’Ary Scheffer exposa publiquement dans son atelier, après l’avoir acheté à l’artiste.**En plus, encore dix œuvres, préparations, frottis, dessins au pinceau, à la plume et au crayon noir, donnant une vision complète du talent du maître paysagiste.
Segantini. Du célèbre Italien des dessins de sa première manière, précédant ses recherches luministes et divisionnistes.
Stengelin, le peintre de Lyon ; une impression de soir, à l’huile et un grand dessin très délicat.
René Tener, un paysage brumeux.
Troyon. Du célèbre animalier, très inégal, une jolie esquisse du Retour du marché, et des études d’une chaude couleur ambrée.
De Vallon, le prestigieux virtuose, des Paysages et des Poissons enlevés avec une verve et une sûreté de touche étonnantes.
Voilà, quant au contingent français. Quelques Belges, Hyp. Boulanger, Alfred Verhaeren, Verwée, Emile Wauters.
Jozef Israëls, Seule au monde, 1878
Et, en somme, assez peu de Hollandais : Israëls, avec un chef-d’œuvre, Seule au monde (qui se craquèle d’une façon inquiétante), et deux beaux Portraits, l’un de Mesdag, l’autre de Mme. Mesdag. Des trois frères Maris, quelques belles toiles, de même que de Bauer, Bosboom, Blommers, Mauve, Neuhuijs, Weissenbruch et tout un groupe de plus jeunes, représentés par des tableaux, des dessins ou des aquarelles.
En artistes ouverts à toutes les sensations d’art, les Mesdag ont réuni non seulement des tableaux et des sculptures dans leur musée, mais ils se laissèrent également séduire par l’éclat de rares émaux cloisonnés de la Chine, par les couvertes blondes et dorées d’anciens Satzouma et les chaudes patines de bronzes antiques, par les couleurs somptueuses et assourdies de précieux tissus du Moyen Âge et de l’Orient, et même parfois par des objets d’un intérêt presque ethnographique en leur beauté étrange et primitive.
T. Colenbrander, Assiette (1886, col. Mesdag)
Ainsi ce musée contient en plus de la grande salle exclusivement remplie d’objets d’art, des vitrines contenant, à côté de curiosités exotiques et anciennes, une très précieuse collection de faïences de Colenbrander, le décorateur original et raffiné qui créa la fabrique de Rozenburg, il y a une trentaine d’années, mais sans succès, à cette époque.
Cette brève énumération ne donne inévitablement qu’une très incomplète idée des trésors d’art que contient ce merveilleux musée, digne d’être infiniment plus connu et visité par l'étranger.
Lors de la dernière Conférence de la Paix, en 1907, j’ai eu la bonne fortune de montrer les collections Mesdag à M. Léon Bourgeois, qui, on le sait, n’est pas seulement un grand homme d’État, mait aussi un connaisseur d’art de tout premier ordre. Stupéfait de trouver à La Haye un pareil ensemble d’œuvres du plus bel art français il s’écria : « Mais ces tableaux n’auraient jamais dû quitter la France. Bon nombre d’entre eux sont des toiles comme il en manque au Luxembourg et même au Louvre ! » Paroles élogieuses et désintéressées qui m’ont d’autant plus frappé, qu’elles me remettaient à l’esprit une autre visite, celle de l'Empereur d’Allemagne au Mauritshuis ; comme le dr. Bredius lui montrait la photographie de l’admirable Portrait du frère de Rembrandt du Musée de l’Hermitage à Pétrograd, l’Empereur, s’adres- sant à son entourage, dit : « Nous pourrions bien aller leur reprendre ce tableau. »
J’étais là, et, dans les circonstances actuelles ces paroles prononcées en passant acquièrent un certain intérêt.
* Un cas de désintéressement analogue, encore plus frappant, est celui du Dr. Bredius qui, lorsqu’un amateur américain voulut lui acheter son David et Saül de Rembrandt, refusa net un bénéfice d’un demi million de francs !
** Mesdag l’a acheté à la fille de Scheffer, Mme Marjolin.
Philippe Zilcken, La Revue de Hollande
octobre 1915, p. 445-452
(1) Anton Gerard van Hamel (1842-1907) – à ne pas confondre avec son homonyme (1886-1945), le célèbre celtisant –, théologien et romaniste, à partir de 1884 premier titulaire d’une chaire de langue et de littérature françaises en Hollande. Voici ce qu’écrit à son sujet David Gullentops dans « La réception de Verhaeren aux Pays-Bas », Revue belge de philologie et d’histoire, T. 77, fasc. 3, 1999, p. 743 :
(2)Catalogus der schilderijen, teekeningen, etsen en Kunstvoorwerpen, La Haye, Mouton & Cie, 1905. Une édition française du catalogue sera établie en 1911 (même auteur, même éditeur) de même qu'une édition en anglais.
(3) Ph. Zilcken, « Le Musée Mesdag à La Haye », La Revue de l’art ancien et moderne, T. 24, n° 139, octobre 1908, p. 301-314. Le texte est plus complet que celui de 1915, mieux rédigé aussi, mais il est déjà accessible en ligne : ICI ou ICI. Il semble avoir d’ailleurs été repris sous forme de brochure en 1913 aux Pays-Bas. Relevons que le graveur haguenois avait déjà publié d'autres contribuations sur Mesdag dont : H.W. Mesdag : le peintre de la mer du Nord, Paris, Quantin, 1896.
En octobre 1915, dans son quatrième numéro, le mensuel La Revue de Hollande publie sans nom d’auteur, au sein de la rubrique « Notes, faits et documents », deux textes brefs consacrés à la ville de La Haye et aux chroniques de Louis Couperus (Coupérus) – la situation internationale avait contraint le romancier, établi depuis de nombreuses années à l’étranger (Nice, Italie…), à renter début 1915 au pays. Deux pages frivoles en une époque grave, la seconde proposant une traduction partielle de la courte prose « Meditatie over het mannelijk toilet » (« Méditation sur la toilette masculine »).
Pour distraire son lecteur et égayer son âme, Couperus maniait souvent une plume en apparence insouciante ; c’est au cours de l’été 1915 qu’il publie par exemple la saynète « De tweede blik » (« Le Deuxième regard »). À l’époque du premier conflit mondial, ses Brieven van den nutteloozen toeschouwer (Lettres d’un observateur inutile), œuvre rédigée à Munich et Florence en août et septembre 1914, et d’autres chroniques, dont beaucoup paraissent dans Het Haagsche post ou Het Vaderland, témoignent toutefois de la gravité qui l’habitait. Ainsi, dans « Cosmopolitisme » (mai 1916) dénonce-t-il l’illusion du progrès – l’homme moderne n’est pas forcément plus élevé que le sauvage – et l’illusion du cosmopolitisme, idéal dans lequel beaucoup voyaient la panacée. « De terugkeer » (Le retour, mars 1915), « Een Hagenaar terug in Den Haag » (Un Haguenois de retour à La Haye, mars 1915) décrivent les sentiments ambivalents et le désarroi de l’écrivain en « ces temps étranges et sans précédent » ; pour la première fois de sa vie sans doute, Louis Couperus éprouve un certain réconfort à vivre dans son « cher petit pays » qui saura préserver sa neutralité.
Extraits de l’adaptation télévisée
du roman haguenois de L. Couperus
De boeken der kleine zielen (Les Livres des petites âmes)
La Haye pendant la guerre
Ce n’est plus la ville aristocratique et paresseuse, accueillante aux touristes et aux diplomates, retraite des Hollandais enrichis, mais bien un centre tout nouveau, plus vivant, aux éléments un peu disparates. Est-ce M. Louis Coupérus, le subtil romancier des mœurs de La Haye (1) qui nous montrera cette ville sous son aspect actuel ?
Si l’auteur de Héliogabale(2) dédaignait de noter les mille aspects de la capitale hollandaise, nous y perdrions un tableau qui, dans ses proportions modestes, n’en serait pas moins attrayant et singulier.
Nous ne verrions pas les êtres qui peuplaient La Haye pendant la guerre.
Il est quatre heures de l’après-midi. Les promeneurs, nombreux, indisciplinés, encom- brent la chaussée, tandis que les cyclistes exécutent sur le trottoir, ainsi que sur les gens et les bêtes, des virages gracieux et soudains. Un gamin siffle Tipperary(3). Le tramway de Schéveningue verse, tout à coup, sur le Plein – la grand’place de la ville – un essaim de jeunes filles tout de blanc habillées. Les membres de la Société « de Witte » (4) sont installés autour de petites tables, en plein air, sur la place. Ils dégustent de savoureux Schiedams et nous admirons la coutume charmante qui leur permet d’interrompre la circulation dans la ville.
Les gens vont et viennent, parmi les soldats bruyants. Des enfants qui jouent à la guerre, drapeaux en tête, tambours battants, sont prêts à s’entretuer, comme les grands.
Les étrangers flânent, s’arrêtent aux librairies où flamboient les brochures de propagande – venant toutes d’Allemagne, ou presque – noyant sous leur masse les réquisitoires nets et sincères d’un Bédier (5) ou d’un Pierre Nothomb (6).
Si M. Louis Coupérus négligeait de noter ses impressions, nous ne verrions pas non plus, le réfugié belge, bon enfant, expansif, mais plein, sous des semblants de gaîté, de la tristesse de son exil.
Quand le crépuscule descend sur la ville et que le parfum des tilleuls du Lange Voorhout s’exaspère, le traducteur de la Tentation de saint Antoine (c’est toujours de M. Louis Coupérus qu’il s’agit) (7) aura-t-il voulu voir les couples enlacés qui vont dans les bois qu’emperle déjà la rosée, ou vers les dunes, baignées d’un clair de lune transparent, dire, dans ce hollandais un peu rauque, les seuls mots qui paraissent toujours nouveaux ?
Il nous montrera peut-être le Vivier, gris et rose à l’aube, à midi, doré, et noyé le soir de pourpre et d’émeraude ; le Binnenhof, précis comme un joyau, mais non point tels qu’ils étaient avant la guerre, car les Pays-Bas, quoique neutres, ont senti passer le grand souffle de l’orage. L’écho des canonnades retentit, chaque jour, jusqu’ici, et cette contrée, si même elle ne fut pas héroïque, en 1915, fit son devoir tout entier : bonté dans l’accueil, hospitalité large et sûre.
(1) Les grands romans haguenois de Louis Couperus étant Eline Vere (1889) et Van oude menschen, de dingen, die voorbij gaan... (1906, traduit par S. Roosenburg sous le titre Vielles gens et choses qui passent…, éd. Universitaires, 1973. On préférera la version anglaise d’Alexander Teixeira de Mattos : Old People and the Things that Pass).
(2) De berg van licht (1905-1906, La Montagne de lumière), roman dans la veine de Salammbô qui brosse une fresque de la décadence romaine à l’époque d’Héliogabale.
(3) It’s A Long Way to Tipperary, air de music-hall (1912) dont le refrain était sur de nombreuses lèvres pendant la première guerre mondiale.
(4) Créée en 1802, la Societeit De Witte est toujours un lieu de rencontre pour les notables, ouvert aux femmes depuis 1998. Elle dispose d’une riche bibliothèque abritée dans des salles Art déco.
(5) Le médiéviste Joseph Bédier (1864-1938), à qui l’on doitd’excellentes éditions de Tristan et Yseult et de La Chanson de Roland, s’était mis au service de l’état-major français. Élu en 1920 à l'Académie française. (photo)
(6) L’écrivain belge Pierre Nothomb (1887-1966) qui publie durant cette période Les Barbares en Belgique ou encore La Belgique martyre.
(7) Sur la traduction-adaptation de la Tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert par Louis Couperus, on lira : Bertrand Abraham, « La Tentation de saint Couperus », Deshima, n° 4, 2010.
Palais de la Paix, La Haye, inauguré en 1913 :
À louer ou à vendre pour cause de faillite
Louis Coupérus et la mode masculine
À La Haye, un magasin d’habillements pour hommes a eu l’idée originale d’inviter quelques auteurs et dessinateurs hollandais à composer, au profit du « Comité royal et national de secours », un livre (1) qui traite de la grave question de la toilette masculine. Les différents collaborateurs se sont acquittés de leur tâche avec grâce et avec esprit.
Piet van der Hem (2) sait camper un snob de Néerlande tout aussi bien qu’il drape un toréador. Jan Feith (3) fait d’ingénieuses comparaisons entre la toilette de notre père Adam et la sienne.
Louis Coupérus, qui a promené sa curiosité à travers tous les siècles, se plaît à faire l’apologie du costume moderne, et y réussit. « Il est possible, dit-il, que nos vêtements masculins soient absolument laids ; il faut reconnaître cependant qu’ils sont aussi d’une beauté relative. Et pourquoi ne nous sentirions-nous pas heureux de porter quelque chose de relativement beau ? Ferais-je un meilleur effet en ce monde et dans cette vie, si j’allais me parer d’une chlamyde ou d’un chiton classiques, ou d’un costume moyenâgeux, d’un brocart de l’époque renaissance, de ‘‘canons’’, de rubans, d’aiguillettes du temps de Louis XIV ? Mais non, cela ne serait pas en harmonie avec le demi-ton, la grisaille, de notre vie… Dans nos multiples existences de modernité fiévreuse il nous faut un costume collant, bien coupé, bien ajusté. Le costume moderne c’est l’armure dans la lutte pour la vie, il s’adapte merveilleusement à l’existence moderne, et c’est pourquoi il est devenu harmonieux et beau…
Et ne dites pas que nous y perdons toute individualité. Le maire de village qui promène dans une redingote sa corpulence et sa bonhomie se distingue tout de suite du diplomate correct et impassible portant le même costume, et dans un restaurant chic, l’élégant maître d’hôtel garde au milieu des dîneurs, en habit comme lui, son élégante silhouette. » (4)
Si ses merveilleux contes et ses beaux romans déjà ne nous l’avaient appris, cette « méditation sur la toilette masculine » nous prouverait une fois de plus que Monsieur Louis Coupérus a « des lumières sur tout ».
(1) Le texte a paru dans Kleeding en de man (septembre 1915) à l’occasion de l’inauguration d’un nouveau bâtiment. Il est reproduit dans la volume 49 des Œuvres complètes de Louis Couperus : Ongebundeld werk, L.J. Veen, 1996, p. 153-156. Le 21 mars 1914, en guise de chronique hebdomadaire, l’écrivain avait publié dans Het Vaderland « Mannelijk toilet » – pages portant sur le même thème et dont on retrouve certaines tournures dans « Meditatie over het mannelijk toilet » – reproduit dans le volume 27 des Œuvres complètes : Van en over mijzelf en anderen, L.J.Veen, 1989, p. 426-432).
(2) Piet van der Hem (1885-1961), peintre et dessinateur (politique) né en Frise. Il fit ses études à Amsterdam avant de vivre à Montmartre (1907-1908). Représentant du luminisme, il devint un portraitiste reconnu.
(3) Jan Feith (1874-1944), auteur prolixe, journaliste, dessinateur, caricaturiste et sportif néerlandais. Il a publié en 1915 De oorlog in prent (La Guerre illustrée). On lui doit entre autres un roman intitulé De reis om de wereld in veertig dagen of De zoon van Phileas Fogg (Voyage autour du monde en quarante jours ou Le fils de Phileas Fogg) publié en 1908, huit ans après qu’il eut rendu visite à Jules Verne.
(4) L’auteur a traduit cinq fragments du texte original.
Dans le premier numéro de La Revue de Hollande (juillet 1915, p. 62-66), l’artiste néerlandais Philippe Zilcken revient, en français, sur les liens qu’il a entretenus avec Edmond de Goncourt (1) et édite une photographie inédite de l’écrivain. Sous le titre « Quelques souvenirs sur Edmond de Goncourt », il écrit :
« Je crois être le seul Hollandais qui ait connu personnellement Edmond de Goncourt, mais comme il est toujours très délicat de parler de soi-même, ce n’est qu’avec scrupules que j’en viens à publier les souvenirs des excellents rapports que j’ai eus avec lui.
Vers 1881, avec l’audace et la spontanéité de la prime jeunesse, je m’étais permis d’écrire au ‘‘parfait gentilhomme de lettres’’ à propos d’un article, très important alors, concernant l’art japonais, qui avait paru dans Le Figaro.
Manette Salomon m’avait révélé le talent et les goûts de l’écrivain-artiste, et le livre s’était rapidement répandu dans les ateliers de La Haye (2).
Edmond de Goncourt me répondit immédiatement ; sa lettre, reproduite ici, constitue une profession de foi, non sans intérêt au point de vue de l’histoire de l’art à cette époque.
27 mars 1881
Dans ce temps-là, M. Lefebvre de Béhaine, le cousin des de Goncourt dont il est question plusieurs fois dans le Journal, était Ministre de France à La Haye. Le comte et la comtesse de Béhaine me firent l’honneur de visiter mon atelier, de sorte qu’il est possible que ce qu’ils dirent de moi, avec trop de bienveillance, contribua à me faire bien accueillir par l’écrivain…
Il est certain que cette année 1881 j’eus le vif désir d’aller lui rendre visite.
Dans le but de faire ce petit voyage, j’avais assez largement brossé une toile Mars en Hollande(3), très simple de composition, et assez lumineuse, que j’envoyai directement au jury du Salon, qui l’admit avec un bon numéro ; alors le bruit courut à La Haye que ce tableau avait été envoyé à Paris ‘‘par voie diplomatique !’’ Je partis le 26 Avril, le cœur léger et plein d’espoir. Arrivé à Paris, je reçus très heureusement une lettre d’Edmond de Goncourt, qui m’avait suivi, m’invitant en ces termes à aller le voir :
Mais j’ignorais encore l’adresse de l’écrivain, que j’avais demandée en vain à la Société des Gens de Lettres. L’idée me vint alors d’aller chez Mme Desoije, la marchande d’objets japonais qui contribua beaucoup à faire connaître l’art nippon. Mme Desoije me renseigna très aimablement et m’offrit même de me mettre en rapport avec des amateurs de peinture qu’elle connaissait.
Le mercredi venu, je pris le bateau-mouche, le moyen de transport que j’ai toujours préféré par-dessus tous les autres à Paris, et je débarquai bientôt à Auteuil, où je découvris sans peine la villa (53) du Boulevard de Montmorency.
Ph. Burty par Carolus-Duran
Edmond de Goncourt me reçut dans le vestibule, avec sa courtoisie si distinguée et me conduisit dans son cabinet de travail, où plusieurs personnes étaient réunies ; il me présenta à Philippe Burty, le pénétrant critique d’art, et à de Nittis, le délicat peintre de La Place des Pyramides (actuellement au Musée du Luxembourg).
Bientôt ces visiteurs partirent, et de Goncourt me tendit son paquet de Maryland et du papier à cigarettes, et nous causâmes, tout en fumant et en admirant, à travers la légère buée bleue, les merveilles qui ornaient le célèbre cabinet de travail, les foukousas incomparables, les éventails, les laques, les bronzes.
Puis il me montra les admirables dessins de Boucher et les Clodion qui ornaient le salon et la salle à manger, les arbustes rares de son jardin, – gelés pour la plupart pendant l’hiver, – toutes ces choses qu’il adorait et dont il a longuement parlé dans La Maison d’un artiste et dans le Journal.
Avant mon départ nous remontâmes dans le cabinet de travail où de Goncourt me montra ses épreuves d’état de Gavarni, aux noirs veloutés, aux gris légers et vaporeux, et nous causâmes encore longtemps.
Je qualifiai dans mes notes cette visite chez le raffiné artiste et collectionneur, de « rêve », et j’en rapportai une impression ineffaçable et infiniment précieuse.
En 1883, j’allai, en souvenir de Manette Salomon, me promener et travailler le long de la Bièvre, excursion d’où je rapportai quelques dessins et une petite eau-forte que, rentré chez moi, j’envoyai à l’écrivain qui me remercia en ces termes :
La lecture des œuvres des Goncourt a certainement influencé considérablement mon développement en général. Aussi il est certain que si, en 1883, je suis parti pour peindre en Algérie, c’est à la lecture de leurs descriptions suggestives d’un Orient peu connu que je fis ce voyage à la recherche de la lumière, voyage qui a été un des tout premiers voyages d’études en Orient entrepris par un peintre hollandais. Ce n’est que plus tard que Bauer, Haverman, Le Gras, commencèrent leurs pérégrinations dans les pays de lumière, d’où ils rapportèrent des œuvres d’une notation nouvelle et imprévue.
À partir ce cette époque j’allai presque toujours voir Edmond de Goncourt lorsque je traversais Paris.
Et les années se passèrent.
Nu, dessin de Ph. Zilcken
Un petit événement contribua à resserrer les liens de sympathie qui me liaient à l’écrivain.
En 1893, le Théâtre Libre vint donner en Hollande des représentations de La Fille Elisa. Un critique assez autorisé écrivit dans les journaux une lettre à Antoine, lui reprochant, – l’éternelle rengaine ! – les ‘‘ordures’’ de la pièce. J’eus le plaisir de publier une défense de l’œuvre émotionnante, en réponse à l’attaque du critique.
Cette escarmouche me valut la carte de visite ci-jointe :
En 1892, Verlaine était venu donner chez nous et en Belgique la série de conférences dont il parle longuement dans ses Quinze jours en Hollande.
J’avais fait des études à la pointe-sèche d’après ‘‘le doux poète’’, et paraphrasant un croquis de Toorop, j’avais exécuté une assez grande planche que j’exposai à Paris. De Goncourt m’écrivit qu’il désirait que je fisse son portrait dans la même note. Ainsi, dans une lettre (21 janvier 1895) parlant de son ‘‘banquet’’ – à l’occasion duquel j’avais réuni un certain nombre de signatures de nos premiers écrivains et artistes sur un parchemin qui fut remis au jubilaire à cette fête, – il ajoutait : ‘‘je suis comme Rops, et trouve très beau votre Verlaine’’, et plus loin, ‘‘cet article (un article paru en Hollande sur le banquet) à ravivé chez moi le désir d’avoir l’eau-forte de mon portrait par l’auteur de l’article’’ (4).
tableau de Ph. Zilcken
En avril je partis pour Paris et chaque matin l’omnibus me menait à Auteuil, où le Maître me recevait dans son fameux ‘‘grenier’’, où j’admirai entre autres choses d’art, des dessins aquarellés de Jules. Je préparai mon travail en faisant des croquis et j’esquissai même une planche d’après nature.
Inopinément je fus obligé de rentrer chez moi ; il fut convenu que je reviendrais bientôt reprendre mes études. Mais une grave maladie d’un des miens me retint à La Haye, et peu de temps après Edmond de Goncourt mourut assez soudai- nement.
Ainsi cette pointe-sèche fut interrompue par la Mort. Il est seulement resté de ces séances une photographie que je fis un matin dans le grenier ensoleillé, et qui survit, faible image, rendant toutefois bien le caractère sculptural, la grandeur puissante, alliée à la plus subtile délicatesse du masque de l’exquis artiste. »
(2) Dans son autobiographie, alors qu’il évoque la figure du professeur Ten Brink, Ph. Zilcken écrit : « Au Lycée, j’ai eu le plaisir de lui raconter que j’avais découvert, dans un cabinet de lecture, un ouvrage des Goncourt (Manette Salomon), qui m’avait enchanté, mais Ten Brink ne connaissait pas encore ces auteurs, que j'ai été le premier à faire apprécier en Hollande comme, plus tard aussi, Verlaine. » (Au jardin du passé, 1930, p. 15). Zilcken poursuit en disant qu’il doit peut-être d’être devenu un « japonisant » et d’avoir fait la connaissance d’Edmond de Goncourt à la fascination qu’il éprouva pour des nobles japonais alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Relevons que Manette Salomon est en cours de traduction en langue néerlandaise.
(3) Dans Au jardin du passé (p. 33), la toile s’intitule Moulin en Hollande. Voici comment Zilcken relate dans ce volume (p. 34-35) sa rencontre avec Edmond de Goncourt :
(4) Allusion à l’article « Hulde aan Edmond de Goncourt » publié par Philip Zilcken dans De Amsterdammer, 24 février 1895, p. 4-5. Ph. Zilcken a publié d’autres contributions en néerlandais sur Edmond de Goncourt, par exemple dans le même hebdomadaire culturel amstellodamois (17 et 24 mars 1895) et dans le mensuel Elsevier’s Geïllustreerd Maandschrift de 1896 (p. 222-233), article dans lequel il reproduit l’autographe suivant ainsi que le faire-part de décès du romancier :
Biographie de Vialatte par Ferny Besson, Lattès, éd. 1999
La Hollande a Carmiggelt, la France Vialatte. Vialatte a son Hollandais, Carmiggelt son Jean et son Eugène.
Publiée dans le journal La Montagne le 28 septembre 1965, la « Chronique du monsieur hollandais » a été reprise dans Pas de H pour Natalie, l’un des treize volumes que l’on doit à Ferny Besson puis dans Les Chroniques de la Montagne (Bouquins, Robert Laffont). Comme la plupart de ses sœurs, elle se termine en queue de poisson : « Et c’est ainsi qu’Allah est grand ».
Si Alexandre Vialatte aimait puiser son inspiration dans le célèbre catalogue Manufrance – voir la vidéo de l’INA –, il faisait aussi, non sans humour, son miel de certains catalogues bataves : « Et c’est pourquoi les plus beaux livres de la saison sont ces catalogues de tulipes qu’on reçoit de Hollande par la poste. Certains sont en ‘‘mélanges superbes’’, d’autres en ‘‘mélanges multicolores’’, d’autres en ‘‘mélanges avantageux’’. On y rencontre la ‘‘veuve joyeuse’’, l’‘‘insurpassable’’ et la ‘‘naine de la nuit’’. Mais que dire de l’anémona blanda, ‘‘tant recherchée à planter dans le jardin de rocaille’’, et du broc ‘‘style vieux hollandais avec un pied en cuivre jaune fait à la main’’ ? De la ‘‘trompette’’, de la ‘‘grande couronne’’, du ‘‘tazetta’’ et du ‘‘poeticus’’, de la ‘‘doronie du Caucase’’ (doronicum orientale), et du ‘‘perroquet gigantesque’’ ? Ce n’est plus de la botanique, mais du poème lyrique, de l’incantation, de la litanie mystique. » (« Tulipes, notaires et même… éléphants », La Montagne, 14 septembre 1969).
Chronique du monsieur hollandais
J’ai connu à La Haye un monsieur hollandais qui se flattait de parler italien. Aussi, pour apprendre le français, se servait-il d’un petit ouvrage à l’usage de notre sœur latine. Réédité sous la Restauration, cet opuscule devait dater de l’époque de Ravaillac. On y apprenait à compter en pistoles, en livres parisis et en livres tournois. Il était extrêmement bien fait et enseignait le plus gros de tout ce qui est indispensable : « pour se brouiller », « pour se réconcilier », pour acheter, pour conter fleurette, pour faire des lettres commerciales ; ce qui se dit le matin, l’après-midi, à pied, à cheval ; le vocabulaire des voyages, des affaires, de la politique. Que dit-on le matin, par exemple ? On dit : « Champagne, apportez-moi mon pourpoint et mon livre d’heures. Je fis hier soir avec le chevalier un reversi où je perdis vingt pistoles. » Mon Hollandais savait tout ça. Le vocabulaire des insultes était d’une richesse étonnante, car l’italien est vif et pittoresque. Elles étaient traduites en français avec une crudité à faire rougir un singe. Mon Hollandais les apprenait par cœur. La distinction la plus choisie alternait dans ce charmant ouvrage avec la plus basse grossièreté. Mon Hollandais ingurgitait le mélange. Quant aux modèles de lettres commerciales, ce n’étaient qu’épîtres de Milan ou de Florence pour annoncer à des négociants de Clermont-Ferrand que leurs convois de mulets chargés de papier d’Ambert s’étaient perdus en route dans les neiges éternelles ; la plupart, victimes du verglas, s’étaient rompus les os au col du Saint-Bernard ; ils tombaient dans les précipices ; ils glissaient dans l’abîme ; ils mouraient de rhumatismes ; ce n’était plus du trafic, mais de l’assassinat ; c’était le roman de l’Alpe homicide. Mon Hollandais avalait tout, le papier d’Ambert, les mulets, le précipice. Cent jolies choses. Il digérait ces catastrophes avec une grande placidité en se figurant qu’il savait l’italien et apprenait par son canal tout ce qui se dit quand on vient en France. Le résultat était étonnant : à l’époque du dollar, de l’avion, du mètre cube, et de l’argot de la Série noire, il parlait par livres tournois, par caravanes et charges de mulet dans le jargon des voyous de l’époque Henri II. Avec une grande cérémonie. Et un accent si parfaitement néerlandais qu’on aurait cru à un dialecte arabe parlé par un âne enrhumé. C’était si beau que je lui achetai son petit livre. Mais il y tenait tellement qu’il vint me le réclamer au moment où je quittais La Haye. Je le lui rendis, déjà sur le marchepied du train. Je n’eus même pas la suprême ressource de pouvoir lui écrire de Paris que je le lui renvoyais par une mule qui se serait noyée dans l’Escaut.
Je ne cesse plus de penser à ce monsieur hollandais. C’est avec lui que je dialogue chaque jour : l’actualité parle comme son petit livre. Avec les romans, les journaux, les traductions et les nouvelles des guerres, c’est un mélange si bur- lesque (et tragique) des tons, des époques, des argots, une telle confusion des genres, des styles, un tel méli-mélo de charabias internationaux, de sauvages et de cosmonautes, d’anthropophages qui prennent l’avion, d’adjurations solennelles de l’O.N.U., d’enfants armés de bâtons pour combattre des tanks, de famines, de squelettes et de désolations, le tout brodé de petites filles chichiteuses qui divorcent d’avec Dédé pour épouser Didi, ou bien réciproquement, et de querelles byzantines sur le sexe des anges, qu’il semble qu’on écoute un fou parler français en hollandais du XIIe siècle avec un accent japonais. En Algérie, on voit des chèvres sur les balcons ; ailleurs la monnaie officielle est le thaler de Marie-Thérèse. Le siècle parle marxiste avec l’accent freudien dans le jargon de prestige inventé pour la publicité de la poubelle à pédale.
Qui mettra tout ça en français ?
On se frotte les yeux, on se gratte la tête.
Et c’est ainsi qu’Allah est grand.*
Alexandre Vialatte
Vialatte traducteur, romancier, chroniqueur, naturaliste et moraliste, par Patrick Tudoret
* On relèvera que le traducteur de Kafka a évoqué plus ou moins dans les mêmes termes son Hollandais au fil d’une autre chronique où il se propose de nous entretenir de la langue… esquimau : « […] Il y a cependant une loi qui veut que les langues refroidissent quand on se rapproche du pôle et se réchauffent quand on se rapproche de l’équateur. L’esquimau est un cas limite. A l’autre bout, il y a l’arabe. C’est en arabe que les injures sont le plus belles. ‘‘Qu’Allah te change en vespasienne !’’ est une imprécation grandiose en même temps qu’un souhait ingénieux qui prouve la poésie des langues orientales. Et l’italien est riche en jurons ouvragés. Tous les besoins peuvent y puiser. J’ai connu à La Haye un monsieur hollandais, ponctuel, brumeux et charmant, un peu humide mais foncièrement grammatical, qui vivait dans l’étrange chimère de savoir parler l’italien. Il l’apprenait sans professeur et était parvenu, de fait, à force de grammaire, de sueurs, de nuits blanches, à s’exprimer dans un idiome guttural que ne comprenait aucune espèce de Hollandais, ce qui prouve bien que c’était une langue étrangère, et qu’un Roumain de force moyenne pouvait en cas de besoin prendre pour du suisse allemand. Les langues du Sud séduisaient ce Nordique par leur charme méridional. C’était physique. Il en était sensuellement amoureux. Les enfants monstrueux de ce penchant sadique faisaient peur à l’homme du commun. À l’aide de dictionnaires, de lettres, de journaux, il créait des langues étrangères. Il avait décidé d’apprendre le français, mais par l’intermédiaire d’une grammaire italienne écrite pour enseigner l’italien aux Français. J’ai compulsé cet ouvrage incroyable, je le lui ai même acheté trois florins pour la curiosité de la chose. Malheureusement il me l’a repris sur le quai de la gare. Il ne pouvait s’en séparer.
« Comme on le comprend ! L’esprit s’y nourrissait des substances les plus étonnantes : ‘‘Ce qu’il faut dire le matin’’, ‘‘Ce qu’on dit l’après-midi’’, ‘‘Comment se brouiller’’, ‘‘Comment se réconcilier’’, ‘‘Pour insulter quelqu’un’’, ‘‘Pour l’insulter plus fort’’, sans compter trente modèles de lettres commerciales et un répertoire instructif de ‘‘saillies spirituelles’’ et de ‘‘reparties ingénieuses’’ qu’il fallait apprendre par cœur. ‘‘Ce qui se dit le matin’’ me surprit fort. Le matin, on dit en se levant : ‘‘Champagne apportez mon pourpoint, ma perruque et mon livre d’Heures’’, ‘‘Je fis hier soir avec M. le Chevalier un reversis où je perdis cinq pistoles’’. Car cet ouvrage, qui s’avouait de 1810 n’était que la réédition d’un traité plus vieux de deux siècles. On n’y comptait que par livres tournois. Si l’on veut bien tenir compte que j’ignore le flamand, que les cours changeaient tous les jours, que celui de la livre tournois n’est présent qu’à très peu de mémoires (sans parler du besant et du sol parisis), qu’il y avait le marché noir et le marché officiel, et qu’enfin le prix des choses est fait d’impondérables, surtout dans une époque de famine nationale et le départ des troupes allemandes, on se rendra compte de la difficulté de faire l’appoint en pistoles Louis XIII dans le troc d’un hareng frais contre un vieux dictionnaire, surtout quand cette monnaie abstruse sort du gosier d’un Hollandais qui le fait revenir par fractions décimales, fioriturée d’agnels et de florins à la rose, du fond du Moyen Âge français par l’intermédiaire capricieux de la Renaissance italienne. C’est ce qui prouve combien la connaissance des langues complique la conversation.
« Cette grammaire fut une plaie d’Égypte. Que faire, le jour d’Hiroshima, en face d’un Hollandais qui réclame sa perruque et veut absolument jouer au reversis ? Quand aux commerces plus directs, quant aux échanges les plus simples, ses trente modèles de lettres commerciales l’avaient bercé de la superstition que les mulets se cassent toujours la tête dans les gouffres du Saint-Bernard en apportant la marchandise. Ce n’étaient que faillites causées par le verglas ! Pour vendre un couteau de poche, il tenait compte du gouffre et se faisait rembourser la bête. Il ne comptait que par mulets et précipices. On ne pouvait acheter un stylo sans franchir la limite des neiges éternelles. Nos trafics longeaient des abîmes. Nous ne commercions que d’avalanches. Ces précipices ont englouti nos relations. C’était un soir d’été, par une lune magnifique, en face d’un moulin à vent et au bord d’un canal en briques : il voulait me jouer le mulet au reversis.
« Mais je m’égare en ces montagnes. Je voulais simplement prouver que l’italien est une des langues les plus raffinées dans l’insulte, et je l’appris par la grammaire de cet alpiniste flamand. Ce manuel qui n’était que madrigaux, grand siècle, baisemains et Précieuses Ridicules, en contenait vingt pages si vaillamment traduites que je n’ose les répéter. Si bien que ce bon Néerlandais passait sans sourciller du plus galant usage aux jurons les plus orduriers quand il lui arrivait de confondre les pages, et que jamais chien de traîneau ne fut traité par son charretier si vilainement que les dames que cet amateur de beau langage honorait de sa vocation.
« Ceci soit dit à la louange de l’esquimau.
« J’ajouterai, étudiant ici le génie des langues vivantes, qu’on est en train de créer en Allemagne orientale, s’il faut en croire la revue Documents, une langue de morale soviétique dans laquelle on emploie le même mot pour dire antimarxiste et antiscientifique. Cent autres exemples. Mais quelle langue n’est tendancieuse en son essence ? Toutes les discussions viennent de là. Et toutes les guerres. »
Plusieurs écrivains néerlandais de la fin du XIXe siècle ont confié au papier ce qu’a pu leur inspirer un séjour parisien plus ou moins long : le volume de considérations sur l’art et l’architecture Parijs en omstreken (Paris et ses environs, 1878) pour ce qui est du critique Conrad Busken Huet, mort dans la capitale française où il a passé la dernière partie de sa vie ; des « sensations de littérature et d’art » dans le cas de l’ami de Marcel Schwob, l’érudit touche-à-tout W.G.C. Bijvanck (Un Hollandais à Paris en 1891) ; quelques nouvelles, des pages de plusieurs romans et des lettres à des proches dans celui de Louis Couperus ; le roman Goëtia en ce qui concerne Frits Lapidoth... Relevons encore le texte « In Parijs » du prosateur Frans Coenen (publié dans l’hebdomadaire De Kroniek en 1899), les souvenirs littéraires du francophile Frans Erens (Vervlogen jaren), plusieurs aperçus esthético-autobiographiques de Lodewijk van Deyssel dont « De aankomst te Parijs », « Parijs », « Het Ik. (Heroïesch-individualistische Dagboekbladen van een twintigjarige) », les croquis brossés par Johan de Meester dans Parijsche schimmen (1892) et les divers travaux de Louis de Semein, rédacteur du Polichinelle, qui a signé des Herinneringen van een Parijsch reporter (Souvenirs d’un reporter parisien, 1877).
Pour sa part, Jan ten Brink (1834-1901) a laissé des impressions de voyage publiées en 1879 : Van Den Haag naar Parijs. Reisgeheugenissen (De La Haye à Paris. Souvenirs de voyage), réimprimées à plusieurs reprises dans le volume Drie reisschetsen (Trois récits de voyage). Un chapitre, le quinzième, est consacré à la soirée qu’il a passée chez Victor Hugo. Ce sont ces pages, traduites par Bertrand Abraham, que nous proposons ci-dessous (« À la table de Victor Hugo »).
Après une halte de quelques jours à Anvers, Ten Brink arrive à Paris le soir du mardi 21 août 1877. Inconditionnel de l’auteur du Ventre de Paris, il visite dès l’aube du 22 les Halles avant de s’asseoir dans un café, au coin de la rue Montmartre où il a, deux ans plus tôt, fait la connaissance de Georges Avenel à qui l’on doit entre autres un Anacharsis Cloots, L’Orateur du genre humain ; la forte impression qu’il garde de ce collaborateur de La République française, disparu l’année précédente, ainsi que de ses écrits, fait l’objet de quelques développements.
S’étant vu remettre un prospectus annonçant une kermesse aux Champs-Elysées : « Palais de l’Industrie - Carrousels de chevaux de bois - Gaufres et Poffertjés (sic) hollandais - Concert de symphonie - Grand bal d’enfants », le Haguenois, qui déteste les kermesses hollandaises, s’empresse de gagner l’édifice qui allait abriter l’Exposition universelle de 1878. Il ne s’y attarde guère et rend visite à son ami Auguste Jourde du journal Le Siècle, lequel lui conseille d’adresser de sa part une lettre à Victor Hugo, meilleure façon d’obtenir ses entrées chez « le vénérable Nestor de la poésie européenne » (Ten Brink a alors déjà consacré plusieurs études au romancier et poète dont une datant de mars 1894 : « Victor Hugo », Litterarische schetsen en kritieken, 1884, T. 8, p. 1-25).
Le soir même, Preste-Plume (surnom dont l’a affublé le naturaliste Marcellus Emants) assiste à une représentation d’Andromaque au Théâtre-Français. Disposant d’une recommandation de Charles Ruelens, conservateur de la bibliothèque de Bourgogne, il est présenté à Adeline Dudlay et à Sarah Bernhardt, laquelle l’invite à lui rendre bientôt visite. Le lendemain, sous le chaud soleil, après avoir bu une bière matinale au Café de la Rotonde au Palais Royal, le Hollandais flâne dans la ville, se laisse promener par un cocher, telle rue le ramenant à un épisode de l’Histoire de France, à une page de Balzac, de Zola bien évidemment, de Henri Murger ou de Jules Janin – d’autres lieux de la capitale lui rappellent une œuvre de Théophile Gautier, de Conrad Busken Huet (note 3 ICI), de Carel Vosmaer (voir p. 179 ICI), de Paul de Kock, d’Arsène Houssaye ou encore d’un auteur de l’Antiquité –, telle autre à une rencontre qu’il a pu faire par le passé (par exemple celle de Léon Gambetta chez qui il s’est rendu à deux reprises au cours de l’été 1875). Il visite la Morgue, finit la journée au Jardin Bullier. Le vendredi 24 août, en fin d’après-midi, il occupe une table du Café de la Paix – l’édition de 1874 des Cafés politiques et littéraires de Paris d’Auguste Lepage lui sert de guide – au coin du boulevard des Capucines, pour noter ses dernières impressions, en particulier celles relatives à l’entretien qu’il vient d’avoir avec Gambetta, rue de la Chaussée-d’Antin. Le chef républicain lui a confié se rendre souvent l’été, incognito, aux Pays-Bas, un pays qu’il apprécie : « La Hollande a encore un certain nombre de choses à nous apprendre, pour ce qui a trait à la pratique. L’histoire de votre peuple est l’une des plus belles de l’époque moderne. Les Néerlandais peuvent être à bon droit fiers de l’illustre dynastie d’Orange, car sous les Orange, la liberté politique et civile a grandi. » Gambetta promet à Ten Brink de le tenir informé de son prochain séjour dans sa patrie. Pour terminer la journée, le romancier va écouter des chansons au Café des Ambassadeurs. Le lendemain, il se rend « en pèlerinage » au Louvre puis, à 16 heures, dans les ateliers de Sarah Bernhardt – la comédienne, vêtue comme un garçon, travaille à une sculpture de Médée –, avenue de Villiers, deux visites rapportées par le menu. C’est quelques heures plus tard, à 21 heures qu’il se présente chez Victor Hugo.
Le dimanche 26 août, on retrouve l’homme aux belles bacchantes au palais et dans le jardin du Luxembourg avant de le suivre dans le quartier où Zola a situé L’Assommoir. Son séjour parisien se termine le lundi : petite halte dans un estaminetaméricain (angle de la place Vendôme) puis promenade en voiture au Bois de Boulogne où, au Restaurant de la Cascade, le hasard le met en présence d’un jeune Hollandais qu’il connaît, occasion pour Ten Brink d’entre- prendre un long exposé sur l’œuvre de Zola, plus particulièrement sur La Curée, conversation poursuivie le soir dans un restaurant du boulevard des Italiens – un prélude à l’étude qu’il con- sacrera au romancier français en 1879 *.
Laudateur des grandes figures républicaines françaises, fasciné par la tragédie révolutionnaire – qui occupe une place dans certaines de ses œuvres de fiction et à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages en se montrant surtout un compilateur : Vier bladzijden uit de Geschiedenis der Fransche Revolutie (Quatre pages de l’Histoire de la Révolution française, 1868), essai repris dans une version revue: Slachtoffers en Helden der Fransche Revolutie (Victimes et Héros de la Révolution française), Parijs tijdens de Roode Terreur traduit en anglais sous le titre Robespierre and the Red Terror, Parijs tijdens de Witte Terreur (Paris sous la Terreur blanche)… – et par « la formidable fièvre effrénée de la Commune » comme le montre De opstand der Proletariërs, geschiedenis der omwenteling van 18 Maart 1871 (Le Soulèvement des prolétaires, histoire de la révolution du 18 mars 1871), propagateur du naturalisme dans son pays, Jan ten Brink sera considéré par les représentants de la génération littéraire de 1880 comme un conservateur, un esprit étriqué emblématique de l’esprit bourgeois qu’eux-mêmes, rejetons de la bonne société, chercheront à combattre. Historien de la littérature de son pays, observateur et chroniqueur de la vie de La Haye et de celle de Batavia, il a trouvé l’énergie de rédiger nombre de contributions sur les lettres françaises dans lesquelles il lui arrive de traduire de longs passages des œuvres qu’il évoque ; maints volumes de ses Letterkundige schetsen réunissent ainsi bien des pages sur Honoré d’Urfé, Madeleine de Scudéry, Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Stendhal, Théophile Gautier, Jules Janin, Alexandre Dumas, Eugène Goblet d’Alviella, Eugène Sue, Balzac, George Sand, Octave Feuillet,Edmond About, Ernest Feydeau, Arsène Houssaye, Flaubert, Alphonse Daudet, Jules Verne, Louisa Stiefert, Victorien Sardou, Henri Rochefort, Léon Hennique, Raoul Vast et Gustave Ricouard, J.-K. Huysmans, Paul Déroulède, Émile Augier, Eugène Scribe, Henry Havard, Eugène Fromentin, Albert Millaud, Alfred Bourgeault, Eugène Gellion-Danglar, Adolphe Thiers, François-Auguste Mignet, les caricaturistes de l’époque…
D.C.
*En 1876 et 1877, Jan ten Brink a publié plusieurs contributions sur Émile Zola dans diverses revues (c’est une part de celles-ci qu’il reprend à la fin de ses impressions de voyage). Il les révisera, abordera d’autres romans des Rougon-Macquart pour offrir aux lecteurs néerlandais, en 1879, un ouvrage sur cet « Hercule des lettres ».
À la table de Victor Hugo
Le conseil qui m’avait été donné par l’un des rédacteurs les plus influents du Siècle d’adresser une missive à Victor Hugo, n’avait guère été profitable. J’eus l’occasion plus tard, au bureau du Siècle, de reparler avec mon obligeant conseilleur, et cette fois, il me fut recommandé d’aller carrément voir le vieux poète chez lui. À l’occasion d’un déplacement infructueux, on m’avait indiqué qu’il recevait après neuf heures du soir.
Aussi, le samedi soir, attendis-je sur le boulevard, que neuf heures sonnent. Comme le jour passe vite ! Juste le temps d’une sortie au Louvre, puis quelques courts moments dans la demeure richement décorée de Sarah Bernhardt avant d’aller examiner à la hâte le menu du dîner européen, boulevard des Italiens, et voilà que l’on me menait à présent au grand trot vers la rue de Clichy, dans laquelle Hugo habite. Pour le coup, je ne frappai pas en vain, mais fus introduit dans un petit salon. Victor Hugo loge au troisième étage – ce qui paraît étrange. Une célèbre artiste dramatique se fait construire un hôtel particulier, et le plus grand poète du pays se choisit, quant à lui, un troisième étage. Mais il possède une maison de campagne princière à Guernesey, Hauteville House, dans laquelle il passe une partie de l’année, et il semble qu’il ait conçu une aversion pour le faste, qui, à l’époque de la monarchie orléaniste, faisait la renommée des hôtels particuliers où il vivait. Il fait même preuve à cet égard d’une ferme conviction, préférant une simplicité de bon ton au luxe exubérant d’autrefois. Nul danger cependant qu’un excès de civisme n’amène notre poète à imiter Cincinnatus – autrement dit, le troisième étage de Victor Hugo livre à nos yeux une demeure d’un goût exquis, parée de cette somptuosité artistique dont seul un Français distingué a le secret. Le petit salon, où je fis antichambre, le confirmait. Nulle part je n’ai vu un miroir encadré d’ébène sculpté d’une pareille beauté. Les meubles anciens faisaient un bel effet contre les murs couleur lie-de-vin ; un même caractère imprégnait tout, jusqu’aux lustres de cuivre.
Un bruit de pas m’annonça que le poète de 76 ans approchait. Il parut dans une entrée qui donnait accès à une autre pièce d’où nous parvenait le bruit de conversations animées. Le portrait de Victor Hugo est connu dans tous les pays civilisés, mais le vieil homme vénérable au pas souple et leste, aux joues roses et fraîches, et dont les lèvres arborent un sémillant sourire, c’est là ce qu’aucun portrait ne saurait représenter. Il me témoignait une double marque d’affabilité en acceptant de prêter l’oreille à des flots d’hommages qu’il avait déjà entendus des milliers de fois et en serrant la main, avec la plus aimable prévenance, d’un visiteur dont il ne connaissait rien de plus qu’un nom inscrit sur une carte. Le fait qu’il y ait aux Pays-Bas des gens suivant tout particulièrement et avec la plus grande sympathie son combat de poète contre le Bonapartisme (1) parut lui faire un plaisir extrême.
Un petit couloir nous conduisit dans une salle à manger vivement éclairée, à la table de laquelle cinq hôtes étaient installés. La façon dont Victor Hugo présenta le nouvel invité fut un exemple d’extrême sagacité en matière de courtoisie. Il fit en sorte que personne ne puisse être effarouché par ce dernier, en assurant que l’étranger s’était tenu informé tant sur les affaires que sur la littérature françaises. Le déjeuner avait, ce jour-là commencé un peuplus tardparce qu’il y avait des hôtes ; j’avais donc le privilège de pouvoir assister à sa fin. Le maître de maison m’indiqua une chaise à sa main gauche, et l’exceptionnelle amabilité de toutes les personnes présentes fit que je me sentis bientôt comme chez moi. Le personnage qui présidait la table était Louis Blanc. C’est avec une grande surprise que j’appris son nom. J’avais devant les yeux un petit homme vif, aux cheveux noirs striés çà et là de quelques touches argentées, aux yeux brillants, doté d’une forte voix de ténor, qui à nul égard ne faisait ses soixante-quatre ans d’âge.
Qui plus est, il s’exprimait d’une façon si claire et si passionnante qu’on lui aurait cru, au minimum, dix ans de moins. Que restait-il du suspect en lequel on l’a le plus souvent transformé, du fanatique enragé, du socialiste déchaîné, lorsqu’on entendait Louis Blanc, petit homme soigné, élégant, s’exprimer avec une circonspection et une finesse extrêmes ?
La sévérité des jugements portés sur le perspicace auteur de l’Histoire de la révolution française et de l’Histoire de dix ans (1830-1840), provient en général de ce qu’on le tient pour responsable des journées meurtrières de juin 1848. Dès 1840 il avait conquis l’attention générale par son ouvrage intitulé L’Organisation du travail, lequel revient, à vrai dire, à souhaiter voir les associations ouvrières protégées et soute- nues par l’État. Contrairement à l’économie politique orthodoxe d’Adam Smith et de Say, il exigeait l’abolition de la libre concurrence au profit d’une coopération sociale universelle où « chacun aurait ses besoins et donnerait selon ses facultés »(2). Au principe de l’intérêt particulier, il opposait le dévouement de tous pour le bien-être commun ; son Histoire de dix ans publiée de 1840 à 1847, et dans laquelle il soumettait à la critique la plus acerbe la politique du gouvernement orléaniste, fit une impression plus forte que cette généreuse idée. Déjà célèbre au moment des journées de février, du fait que les deux premiers volumes de son Histoire de la révolution française étaient parus en 1847-1848, il fut élu député de l’Assemblée constituante et nommé au sein du gouvernement provisoire dans lequel, avec Albert, il représentait les socialistes. Il fut toujours davantage attaché à la théorie qu’à la pratique. Son exposé, Socialisme – Droit au travail, publié en 1848, l’avait rendu très populaire auprès des ouvriers parisiens qui, par centaines de milliers, défilèrent dans les rues de la capitale. La proposition visant à instaurer les ateliers nationaux par la loi n’émanait pas de Louis Blanc, qui y était opposé, et aux yeux duquel le salut ne pouvait venir que de la collaboration mutuelle entre travailleurs, ce qu’en tant que président de la Commission du Gouvernement pour les Travailleurs (3), il s’évertua à démontrer. Ceci n’empêcha pourtant pas que ces ateliers nationaux fussent considérés comme une création du parti socialiste et qu’on en imputât en général la paternité morale à Louis Blanc. De là les poursuites lancées contre lui après les tragiques journées de juin, de là son embarquement, dès août 1848, vers l’Angleterre, où il passa vingt-deux ans en exil, achevant sa remarquable Histoire de la révolution française en douze volumes.
De retour d’exil le 4 février 1870, Louis Blanc est depuis le 8 février 1871 membre des assemblées législatives qui se sont réunies à Bordeaux et à Versailles. La tendre amitié qui le lie à Victor Hugo n’est pas seulement l’effet d’une identité de vues en matière littéraire, mais découle avant tout de la similarité de leurs conceptions politiques ; Louis Blanc fut, depuis Londres, le collaborateur le plus fidèle du journal Le Rappel, organe dans lequel les fils de Hugo avaient combattu le Second Empire alors sur le déclin. Il n’était donc pas étonnant de trouver à la table du poète, qui avait connu l’exil à Guernesey, l’exilé de Londres – Louis Blanc, « un vétéran frais et rose » (4).
À côté de ce dernier se trouvait une jeune femme particulièrement gracieuse, Madame Lockroy, veuve de feu Charles Hugo, fils aîné de l’écrivain. C’est la mère de Jeanne et de Georges, que les vers de leur grand-père ont rendus immortels. Un naturel affable et une grande beauté ont fait d’elle la digne épouse du fils aîné de Victor Hugo, mort dans la force de l’âge au début des troubles de la Commune, en 1871. Au mois de mars de cette année noire, le poète, à peine rentré dans sa patrie, portait au tombeau ce fils, cependant qu’il s’exclame, à travers ses larmes :
Charles ! Charles ! (5) ô mon fils ! quoi donc ? tu m’as quitté.
Ah ! tout fuit ! rien ne dure !
Tu t’es évanoui dans la grande clarté
Qui pour nous est obscure.
La veuve a récemment donné sa main à Édouard Lockroy, ami chaleureux de la famille, qui, dans ses fonctions de rédacteur du Rappel, s’est montré un avocat talentueux de la République, se faisant en même temps un nom comme représentant du peuple.
Quand, après quatre mois et demi de siège et d’héroïques souffrances, Paris eut fini par capituler, et que l’Allemagne eut signifié qu’elle n’acceptait de signer la paix qu’avec une assemblée légalement élue et un gouvernement reconnu par celle-ci, la ville envoya quarante-trois députés à Bordeaux. Louis Blanc était arrivé en tête du scrutin, suivi de Victor Hugo ; Édouard Lockroy était quatorzième, alors que Thiers et Jules Favre arrivaient respectivement en vingtième et vingt quatrième(6) position. Que ce soit à ces hommes que la capitale, durement éprouvée après avoir traversé un océan de catastrophes, ait accordé la préférence, et qu’elle ait de surcroît donné moins de voix à Thiers lui-même qu’aux trois précédemment nommés, témoigne en tout état de cause de l’estime des deux centaines de mille électeurs, qui n’ont pas dûmettre par pur et simple hasard les noms de Louis Blanc, Victor Hugo et Édouard Lockroy sur leurs bulletins de vote.
À la droite de Madame Lockroy se trouvait un hôte venant de province, dont le nom fut trop vite prononcé pour pouvoir être saisi. C’était un monsieur d’un âge respectable, qui parla très peu. Victor Hugo avait à sa droite Lockroy lui-même, homme jeune, âgé de trente-trois ou trente-quatre ans, à l’œil vif et au visage quelque peu maigre, mais délicat. Il y avait en outre une vieille dame à cheveux blancs, qui était placée au haut bout de la table, près de Louis Blanc : Madame Drouet, qui, à la suite du coup d’État, avait sauvé la vie à Victor Hugo. Telle était la compagnie parmi laquelle je me vis soudain admis par un heureux hasard.
Après que quelques sujets généraux eurent été abordés, ce fut Louis Blanc qui orienta la conversation, en me demandant si, moi qui venais de La Haye, j’y avais aussi connu, à l’époque, Armand Barbès. Incapable que j’étais de me faire comprendre en quelques mots, je me mis à évoquer, tant bien que mal, les dernières années de la vie de Barbès à La Haye. Tous les républicains français éprouvent à l’égard de ce dernier une vénération aussi profonde qu’est violente leur aversion pour Blanqui. L’un comme l’autre se sont employés à ourdir des conspirations sans avoir le moindre sens pratique quant aux moyens à mettre en œuvre, ce qui a nécessairement condamné leur tentative à l’échec. Ils ont passé tous deux une grande partie de leur vie dans les geôles, mais Barbès était la générosité même, un enfant au cœur simple et pur, et Blanqui une triste canaille, sans cœur ni conscience. Auprès de Hugo lui-même, le nom de Barbès était en grand honneur. Chacun voulut apprendre ce qu’avaient été ses dernières années à La Haye, et avoir une idée de l’image qu’avait laissée de lui cet homme exceptionnellement généreux mais étrangement exalté.
Deux courtes anecdotes pouvaient être éclairantes à cet égard. Je me fis un plaisir de les faire connaître. La première datait de mai 1863.
Il y avait une fête foraine à La Haye. Nous nous trouvions chez quelques amis français et parlions entre nous de cette belle réjouissance populaire. Notre hôtesse manifesta l’envie d’y aller voir de plus près. Barbès, bien que constamment souffrant, fut tout de suite disposé à la servir. D’un air distingué, il sortit, devant moi, avec à son bras la remuante Française, et affronta vaillamment l’agita- tion bon enfant de la fête. Faisant montre d’une patience chevaleresque, il attirait l’attention de sa dame sur les silhouettes des saltimbanques qui criaient et braillaient, restait en arrêt près des diables hurlant des manèges, entrait d’un pas ferme dans la baraque foraine où l’on vendait des beignetspour satisfaire la gourmandise de sa compatriote. Nous nous rendîmes pour finir dans les baraques du Voorhout. Il s’arrêta patiemment près de chaque éventaire, et la Française ne se fit pas longtemps attendre pour presser avec une insistance déplaisante son chevalier servant de faire l’emplette de quelques babioles très coûteuses, tout en nous montrant, d’un air de triomphe, la belle broche que Barbès lui avait offerte.
La seconde anecdote se situait à l’hiver 1864. Barbès m’avait invité chez lui. En entrant, je le trouvai au beau milieu d’une masse d’enfants aux joyeux sourires. Il avait fait venir les petites filles de sa logeuse avec quelques-unes de leurs jeunes amies. Il offrit, avec empressement des gâteaux à ses petits hôtes, qui les acceptèrent de bon cœur, sans comprendre un mot de ce que disait leur généreux amphitryon. Debout près de la table, le proscrit aux cheveux blancs faisait à ses hôtes les honneurs de la maison, tandis que mi-intimidées, mi-téméraires, les jeunes têtes se rassemblaient, en un doux chuchotis. Faisant appel à mon néerlandais, il me présenta aux enfants :
« Mon ami ! Je vous présente Mlle. Louise, Mlle. Esther, Mlle. Pauline, Mlle. Lina, M. Henri ! »
Entendant parler leur langue, les enfants prirent de l’assurance. Avec un plaisir croissant, Barbès les vit se mettre à sauter à travers la pièce, et, d’autres amis étant arrivés, on en vint très facilement à faire danser aux grands comme aux petits un « Hei! ’t was in de Mei zoo blij » (7), avec, au milieu, le brave hôte.
Louis Blanc réagit en disant que la meilleure recommandation qu’on pouvait apporter à la table de Victor Hugo était un souvenir de l’amitié de Barbès.
Victor Hugo conta que son fils Charles avait, de retour de La Haye, gardé de Barbès une même impression. Il conclut en citant quelques mots de Charles :
« Barbès, c’est le Peuple. Il ne raisonnait pas avec le but, il y marchait. C’était l’aventurier du devoir. Un des plus nobles traits de son caractère, c’est qu’il était profondément Français. Il détestait le sabre, mais il adorait le drapeau. Patriote sans chauvinisme, il a donné toute sa vie à ces deux principes, à ces deux cultes : Le Peuple et la France ». (8)
Tandis que nous échangions encore quelques mots à propos des Pays-Bas et de Barbès, je m’avisai que le petit livre bien connu Victor Hugo en Zélande avait été écrit par son fils Charles. Sur ce, je demandai à Madame Lockroy si nous verrions sa petite Jeanne, mais Hugo répondit, l’air inquiet, que Jeanne était un peu indisposée. Maintenant qu’il avait perdu son épouse et deux fils adultes, Jeanne et Georges, ses deux petits-enfants faisaient la joie de sa vieillesse. Au souvenir de certains vers empreints de douceur de L’Année Terrible, ceux, surtout, qui ont été écrits le 1er janvier 1871 :
Enfants, on vous dira plus tard que le grand-père
Vous adorait ; qu’il fit de son mieux sur la terre,
Qu’il eut fort peu de joie et beaucoup d’envieux ;
Qu’au temps où vous étiez petits il était vieux,
Qu’il n’avait pas de mots bourrus ni d’airs moroses,
Et qu’il vous a quitté dans la saison des roses ;
Qu’il est mort, que c’était un bonhomme clément ;
Que, dans l’hiver fameux du grand bombardement,
Il traversait Paris tragique et plein d’épées,
Pour vous porter des tas de jouets, de poupées ;
Et des pantins faisant mille gestes bouffons ;
Et vous serez pensifs sous les arbres profonds.,
Lockroy rapporta à quel point il était fréquent que tels ou tels vers de Victor Hugo soient connus par cœur, et que dernièrement encore, il s’était avéré que l’empereur du Brésil en gardait quelques-uns en mémoire. Le fait a, sur le moment, été signalé par les journaux, de même que la visite rendue au poète par le matinal souverain des rivières amazoniennes – il n’y eut, du reste, au cours de l’entretien, que peu de mots consacrés à la question.
Quand café et liqueurs apparurent, l’attention générale se porta sur des sujets plus ordinaires. Madame Lockroy désirait savoir quelles liqueurs on prenait, avec le café, dans tel ou tel pays. Il fallut une fois de plus, cela va sans dire (9), expliquer de quelle façon l’on use ou l’on abuse, aux Pays-Bas, du breuvage produit à Schiedam (10), qui sent si mauvais. Madame Lockroy fit promettre à Hugo de lui procurer du kummel danois, après s’être informée au préalable de ce qu’on mettait sous ce mot. Des liqueurs à la bière, il n’y a pas loin. Louis Blanc déclara que la Belgique était un doux pays à ses yeux, mais que jamais il ne s’essaierait au faro. Victor Hugo eut vite fait de l’interrompre :
« Au contraire, je l’adore, le faro ! » (11)
Et avec ce luxe de détails, qui n’a de charme que dans un cercle intime, il se mit à parler de son séjour à Bruxelles, après les journées meurtrières de décembre 1851. Il décrivit les petites gargotes, où il avait l’habitude de déjeuner et de boire son faro — « le proscrit ne doit pas être fier ! » (12) Et comme on pouvait s’y faire servir le faro dans toute son authenticité, ce dernier était excellent. Louis Blanc, en revanche, chantait les louanges de la pale-ale anglaise, qui tire presque sur le champagne. De façon aussi circonstanciée que le maître de maison, il raconta comment, à Londres, il s’était pris d’une amitié durable pour la pale-ale. Il y avait quelque chose d’étrange à surprendre le ton cérémonieux, presque professoral, avec lequel Louis Blanc s’exprimait. Il parla des conférences qu’il avait données en Angleterre, et de la façon dont il s’était manifesté, un jour, à Burton – ville qui vit presque exclusivement de ses brasseries, et où trônent Bass et Alsopp, les fameux rois de la pale-ale et de la porter. Après une conférence à Burton, les patrons des grandes brasseries avaient voulu lui offrir du champagne, mais il les avait priés de lui accorder la faveur de pouvoir déguster l’authentique boisson de la ville. En prenant congé, Louis Blanc avait demandé à Alsopp quelle était, entre Bass ou la sienne, celle des deux brasseries qui fournissait le plus de bière tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger. Ce à quoi Alsopp avait répondu : « Notre production est pratiquement égale, avec toutefois un avantage à Bass, parce que son nom a une syllabe de moins que le mien ! »
Cette démonstration de sens pratique anglais fut saluée par de joyeux rires, après quoi Madame Lockroy nous invita à passer au salon.
Et divers hôtes arrivèrent. Victor Hugo prit place sur un sofa ancien. Louis Blanc suivit son exemple. Hommes et femmes se mirent en groupes autour d’eux. J’eus, de surcroît, le plaisir de pouvoir converser amplement avec l’alerte rédacteur du Rappel. Il avait été, de même que Louis Blanc, au nombre des 353 membres de la majorité républicaine touchés par la dissolution. Il pronostiquait, comme Gambetta, que les élections allaient ramener l’ancienne majorité à la Chambre. Comme Gambetta, il parlait avec la plus haute considération des Pays-Bas, et en particulier de la beauté de La Haye et de Scheveningue, tout en faisant un vibrant éloge de l’ancienne voie tracée entre les deux villes par Constantin Huygens. Profitant de ce que le vieux monsieur de province prenait congé, je remerciai Victor Hugo de son exceptionnelle amabilité et dus toutefois promettre de revenir avant mon départ.
Un livre de Gustave Rivet, Victor Hugo chez lui, est paru il y a peu (13). C’est un recueil d’aimables détails de la vie du cercle de famille, au sein duquel règnent Jeanne et Georges, et oùle grand-père est appelé papapa. Il n’y a pas grand-chose de neuf à en tirer, mais par contre, il apparaît clairement à chaque ligne, que l’auteur est bien informé et dit vrai en toutes choses. Quiconque s’aviserait de le blâmer du fait de l’admiration qu’il porte à Victor Hugo, trouverait davantage à redire à la forme qu’au contenu. Les quelques heures que j’ai passées chez l’auteur des Châtiments ne m’ont pas procuré un souvenir moins agréable que celui qu’ont laissé à Rivet les nombreuses années d’une fréquentation quotidienne. Simplicité, grandeur d’âme et bienveillance s’expriment dans tout ce que dit l’homme véritablement célèbre – n’éprouvant pas la nécessité de se montrer supérieur à travers une froideur distinguée, comme certains médiocres en ont l’habitude, il reste le vieillard serein, naturel, affable qui se livre sans masque, sans fierté, et sans prétention. On peut dire, à l’instar de son dernier biographe : « Je fus séduit par la simplicité et attaché par la bonté de l’homme, autant que j’avais été frappé de la grandeur et ébloui de l’incomparable éclat de ce génie. » (14) En revanche, le jugement littéraire de cet ami familier est curieux. À la fin de son livre, il écrit : « Sublime comme Pindare, souriant comme Anacréon, terrible comme Juvénal et comme Dante, sévère et juste comme Tacite, pathétique et grand comme Eschyle et comme Shakespeare ; il est l’âme lyrique de la France, le chantre inspiré de l’enfance et de l’amour, et le justicier de la liberté ; romancier, historien, tragique, il est, de plus, le poète lyrique du genre humain. » (15) Il faut avoir, comme Monsieur Rivet, étudié dans un pensionnat et à l’université pour manier des noms grecs et romains de façon aussi singulière. Victor Hugo est le représentant à vie de l’école romantique de 1815-1840 ; le comparer à Eschyle est parfaitement absurde. Bien que l’influence de Shakespeare sur Hugo ait été déterminante, il ne serait pas convenable de comparer Hernani à Othello ou Ruy Blas à Hamlet. Le génie du grand Français doit, pour ce qui est du théâtre, admettre la supériorité du grand Anglais. Sur le plan dramatique et tragique, Victor Hugo n’a pas produit de créations qui soient à même de défier les siècles comme le font les comédies et les tragédies de Shakespeare ; mais d’ailleurs, toutes les comparaisons qui sont lancées de façon aussi débridée que celles, mentionnées ici, de Gustave Rivet, ne nous avancent pas d’une semelle. Victor Hugo est grand par lui-même ; il peut se passer de comparaisons. Il est à la fois le Nestor et l’Agamemnon des lettres françaises. Voilà un demi-siècle (1828-1878) qu’il écrit et sa renommée littéraire n’a fait que grandir. Si la première effusion tumultueuse de son imagination débordante d’images et de formes gigantesques a pu ici et ailleurs arracher un rictus à la suffisance chlorotique ou à la sécheresse étriquée, à peine se mit-il à chanter ses chansons tellement fraîches et harmonieuses que tout se tut et écouta, saisi d’admiration, que même le croassement des corbeaux et le coassement des grenouilles s’arrêtèrent (16) là où lui commençait, sur un air jamais ouï jusqu’alors. Après quoi ses alexandrinsrésonnèrent sous les feux de la rampe – les plaintes de Marion, le langage amoureux d’Hernani, les rêves ambitieux de Ruy Blas, les souffrances intérieures de Triboulet – et ceux qui, dans la maison de Molière, ne juraient de ne croire qu’en Corneille et en Racine pâlirent de dépit et tentèrent en vain d’anéantir par leurs sarcasmes impuissants le jeune Titan. Puis il rebâtit, avec une science et une imagination imposantes la cathédrale Notre-Dame, créa Quasimodo, le démon difforme des grandes tours, la ravissante Esmeralda et le sombre Claude Frollo, mettant le comble à sa création épique avec le trio historique constitué de Louis XI, de Tristan l’Ermite et d’Olivier le Daim. Dans son exil, c’est sa puissance épique qui brilla par-dessus tout. La première partie de sa Légende des Siècles surpasse ses plus beaux recueils lyriques. Depuis « Ève », jusqu’aux « Pauvres Gens » (17) il emprunte ses sujets à l’histoire universelle. Sur ce plan, sa peinture de Charlemagne, le héros franc, est inégalée. Un écho de la grande épopée nationale qu’est la Chanson de Roland résonne dans les chansons du cycle de Charles, dans les chants épiques consacrés au Cid et dans sa glorification des chevaliers errants. (18) Mais la Muse lyrique l’inspirait aussi alors qu’il achevait les Châtiments – il y avait là, pour lui, une torture poétique, ayant nom Napoléon III, encore plus éprouvante peut-être que Napoléon le petit, ce satyre que l’on s’efforçait de congédier par quelque bon mot. Il enchaîna aussitôt avec une épopée en prose, Les Misérables, contenant une autre épopée à petite échelle, Waterloo, modèle de texte épique moderne en prose. Coup sur coup, il étonna par la maturation de son génie, et les trésors inappréciables d’imagination et d’invention qu’il déployait.
Alors qu’il venait de rentrer en France, au seuil de ses soixante-dix ans, il étonna surtout par sa fraîcheur d’esprit en matière littéraire. Les catastrophes qu’a connues son pays, les coups qui ont affecté sa vie de famille n’ont pas détruit le poète ; L’Année Terrible (juillet 1870- juillet 1871) témoigne au contraire d’une force de caractère sans égale. Et, lorsque par la suite, la France reprend son souffle, et que se concrétise l’espoir de voir exister l’ample majorité républicaine du pays à la faveur d’une constitution républicaine, la veine poétique se fait encore plus abondante dans le sublime roman Quatre-vingt-treize, dans une nouvelle série de LaLégende des Siècles ainsi que dans L’Art d’être grand-père, œuvre poétique intime d’une ravissante beauté.
Quiconque puise dans cette exceptionnelle réserve de vers, de récits, de romans et d’ouvrages polémiques, est toujours assuré d’y trouver une œuvre d’art de première grandeur. Dans chaque vers resplendit l’originalité du poète. Victor Hugo atteint de tels sommets dans l’écriture des alexandrins français que les générations et les temps futurs l’honoreront comme le prodige littéraire de son siècle. Seuls la mer et l’orgue produisent de telles mélodies, a-t-on dit de lui à juste titre. De plus, dans sa musique, tant lyrique qu’épique, la grandeur et la sublimité n’excluent ni la grâce ni le raffinement des coloris. Un exemple le confirmera. Les légendes chevaleresques du Moyen Âge, celles se rapportant à Charlemagne surtout, ont été magistralement comprises par Hugo. Une des plus courtes épopées de la première série de sa Légende des siècles a pour simple nom « Aymerillot ». (19)
Charlemagne, empereur à la barbe fleurie,
Revient d’Espagne ; il a le cœur triste, il s’écrie :
« Roncevaux ! Roncevaux ! ô traître Ganelon ! »
Car son neveu Roland est mort dans ce vallon,
Avec les douze pairs et toute son armée.
[...]
En cinq vers, nous voilà au courant des événements. Charlemagne voit depuis les sommets des Pyrénées une ville magnifique, défendue par trente tours gigantesques. Plein d’entrain, il s’exclame :
Mes enfants ! Mes lions ! Saint-Denis m’est témoin,
Que j’aurai cette ville avant d’aller plus loin !
[...]
Mais le duc Naymes, attire son attention sur les difficultés insurmontables, sur la longue durée de la guerre, sur le désir qu’ont les chevaliers de rentrer chez eux. Charles s’obstine et veut connaître le nom de la ville. Il s’agit de Narbonne. L’empereur Charles charge alors le comte Dreus de Montdidier de prendre la ville, mais celui-ci s’excuse, parce qu’il est malade. Le comte palatin Hugo de Contentin affirme, lui, qu’il est trop fatigué ; le duc Richer de Normandie ne souhaite pas ajouter Narbonne à ses fiefs. Bavon, comte de Gand, a faim, et veut rentrer en Flandres. Il répond à l’empereur :
Quand vous me donneriez, pour prendre cette place,
Tout l’or de Salomon et tout l’or de Pépin,
Non ! je m’en vais en Flandre, où l’on mange du pain.
[...]
Et Charlemagne de railler :
Ces bons Flamands, dit Charle, il faut que cela mange !
[...]
C’est à présent Eustache de Nancy qui est sollicité, mais il refuse, car il n’a pas de quoi payer ses gens. Gérard de Roussillon refuse, Eudes (20), roi de Bourgogne, refuse, tous refusent.
Alors, levant la tête,
Se dressant tout debout sur ses grands étriers,
Tirant sa large épée aux éclairs meurtriers,
Avec un âpre accent plein de sourdes huées,
Pâle, effrayant pareil à l’aigle des nuées,
Terrassant du regard sont camp épouvanté,
L’invincible empereur s’écria : « Lâcheté ! »
O comtes palatins tombés dans ces vallées,
O géants qu’on voyait debout dans les mêlées,
Devant qui Satan même aurait crié merci,
Olivier et Roland, que n’êtes-vous ici !
[...]
Charlemagne accable ensuite ses chefs d’armée et ses comtes palatins d’un impérieux
[...] allez-vous en,
Guerriers, allez-vous en d’auprès de ma personne,
Des camps où l’on entend mon noir clairon qui sonne,
Rentrez dans vos logis, allez-vous en chez vous,
Allez-vous en d’ici, car je vous chasse tous ! »
[...]
L’empereur restera, seul, pour assiéger Narbonne. L’écho de sa voix irritée résonne tel un roulement de tonnerre, parmi les montagnes.
Ce qui suit, c’est au poète lui-même qu’il revient de le dire :
Les barons consternés fixaient leurs yeux à terre.
Soudain, comme chacun demeurait interdit,
Un jeune homme bien fait sortit des rangs, et dit :
« Que monsieur saint Denis garde le roi de France ! »
L’empereur fut surpris de ce ton d’assurance.
[...]
Toi, que veux-tu dit Charle, et qu’est-ce qui t’émeut ?
« Je viens vous demander ce dont pas un ne veut :
L’honneur d’être, ô mon roi, si Dieu ne m’abandonne,
L’homme dont on dira : ‘‘C’est lui qui prit Narbonne.’’ »
L’enfant parlait ainsi d’un air de loyauté,
Regardant tout le monde avec simplicité.
Le Gantois, dont le front se relevait très-vite,
Se mit à rire et dit aux reîtres de sa suite :
« Hé ! c’est Aymerillot, le petit compagnon !
– Aymerillot, reprit le roi, dis-nous ton nom.
– Aimery. Je suis pauvre autant qu’un pauvre moine ;
J’ai vingt ans, je n’ai point de paille et point d’avoine,
Je sais lire en latin, et je suis bachelier.
Voilà tout, sire. Il a plu au sort de m’oublier
Lorsqu’il distribua les fiefs héréditaires.
Deux liards couvriraient fort bien toutes mes terres,
Mais tout le grand ciel bleu n’emplirait pas mon cœur.
J’entrerai dans Narbonne et je serai vainqueur.
Après, je châtierai les railleurs, s’il en reste. »
Charles, plus rayonnant que l’archange céleste,
S’écria :
« Tu seras pour ce propos hautain,
Aymery de Narbonne et comte palatin,
Et l’on te parlera d’une façon civile.
Va, fils ! »
Le lendemain Aymery prit la ville. (21)
Pourrait-on transposer dans notre siècle l’épopée carolingienne avec plus de noblesse et d’éclat ? Cela me paraît impossible, et cette petite épopée d’Aymerillot est d’une beauté telle que je ne saurais la définir.
Jan ten Brink
traduit du néerlandais par Betrand Abraham
(1)On notera le choix de cemot, qui paraît aller bien au-delà du seul Napoléon III, ce qui sous la plume d’un Néerlandais n’est pas très étonnant. [Toutes les notes sont du traducteur.]
(2)En français dans le texte.
(3)En français dans le texte.
(4)En français dans le texte.
(5)Dans l’édition imprimée néerlandaise, le prénom Charles est orthographié sans -s final. Il pourrait s’agir d’une simple coquille.
(6)Ten Brink commet ici une erreur : Jules Favre fut élu en 34e position.
(7)Refrain d’une chanson populaire de Hollande du Nord, évoquant la promenade d’un moine tenant par la main, au mois de Mai, sa bien aimée (une nonne). Les passants qui le rencontrent le prient successivement de s’agenouiller, d’étendre son capuce à terre, sous les pieds de la nonne, de l’embrasser, de la réconforter, puis lui enjoignent de se séparer d’elle tandis qu’ils conseillent à la nonne de prendre un autre moine. Le refrain cité ici dit : « C’était en mai,au mois de mai si gai ! »
(8)En français dans le texte.
(9)En français dans le texte.
(10)Il s’agit d’une eau-de-vie fabriquée à base de genièvre.
(11)En français dans le texte.
(12)En français dans le texte.
(13)Jan ten Brink a donné une recension de cet ouvrage : « Het leven van Victor Hugo » (« La Vie de Victor Hugo »), in Litterarische schetsen en kritieken, T. 12, Leyde, A.W. Sijthoff, 1884, p. 11-16.
(14)En français dans le texte.
(15)Gustave Rivet, Victor Hugo chez lui, Paris, Dreyfous, 1878, p. 308. Contrairement à la plupart des citations, celle-ci figure dans le texte dans la traduction en néerlandais qu’en donne Ten Brink.
(16)Le texte néerlandais mentionne ici le hululement des chouettes effraies. Mais de même que le motnéerlandais raaf qui désigne le corbeau, renvoie – comme en français – dans le langage populaire, aux prêtres, le mot kerkuil qui désigne la chouette effraie s’applique à ce qu’on appelle en français la « grenouille ou la punaise de bénitier ». D’où notre traductionqui a l’avantage, de plus,par l’heureux effet du hasard, de rendre compte à sa manière, dans le jeu croassement / coassement, d’une autre particularité de la langue néerlandaise : l’utilisation du seul et même signifiantgekras pour désigner à la fois le cri des corbeaux et des chouettes.
(17)La traduction néerlandaise de ce titre esticiArme Visschers soit littéralement « Pauvres pêcheurs ».
(18)Nous traduisons ici littéralement les expressions que Ten Brink utilise pour désigner les textes de Hugo, extraits de la Légende des Siècles. L’auteur ne reprend pas en effet exactement les titres donnés par Hugo aux différents poèmes ou groupes de poèmes évoqués ici.
(19)Voir note 20, à propos de l’orthographe de ce nom dans l’édition néerlandaise.
(20)Voir note 20, à propos de l’orthographe de ce nom dans l’édition néerlandaise.
(21)Dans l’édition néerlandaise, cette longue citation comporte un certain nombre de fautes : ainsi les « sourdes huées » deviennent-elles des « sourds huées », l’«archange » se voyant, quant à lui, transformé en « archanne ». La ponctuation est à plusieurs reprises différente de ce qu’elle est dans le texte de Hugo. Enfin, le nom du héros estorthographié avec un accent aigu sur le -E, ce qui le transforme en Aymérillot, sauf dans la toute dernière phrase du texte.Le nom de Eudes, est, quant à lui, affublé d’un accent grave (Eudès). Ces fautes sont vraisemblablement dues à l’éditeur.